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La véritable histoire du CDC

Aujourd’hui incoutournable, la plume de « cul de canard », alias CDC, se trouve à toutes les sauces, sur tous les continents, à un tel point qu’on en oublierait presque son histoire, son origine. Voici donc, la véritable histoire du CDC, pour une remise à l’heure des pendules…suisses, bien évidemment !

Dans bien des pays, notamment dans toutes les contrées anglophones où l’on pêche la truite, une plume magique révolutionne actuellement la pêche à la mouche. Le « Ci Di Ci » fait monter des truites qui finissaient par en avoir assez des plumeaux en hackle de coq trop raides et sans vie. Ces pays qu’il s’agisse des États Unis, de la NouvelleZélande ou encore des pays anglo saxons , connaissent le même phénomène que nous avons connu en France voici une bonne vingtaine d’années. Les poissons s’accoutument et deviennent plus sélectifs que par le passé face à nos imitations. Cette plume souple, facile à travailler, à la flottaison hors normes, continue de se propager à travers le monde tel un virus, partout où les truites et les ombres prennent des insectes à la surface des lacs et des rivières.

UNE PLUME AUX QUALITÉS EXCEPTIONNELLES

À l’instar du fameux couteau suisse ou du müesli, les plumes de croupion de canard sont une authentique invention helvétique. « CDC » est l’abréviation de Croupion de canard ou Cul de canard, pour reprendre la marque déposée par

Henri Bresson. Les plumes de CDC ne proviennent pas stricto sensu du croupion du canard, mais de la glande uropygienne de ces oiseaux, située sur le bas du dos. Le canard prélève la graisse hydrophobe sur la glande avec son bec et l’étale sur son plumage, ce qui assure l’imperméabilité et protège l’oiseau de la dessiccation. Autour de la glande se trouvent environ une douzaine de plumes de très bonne qualité, qui sont naturellement duveteuses : elles imitent à merveille les ailes de nombreux éphémères et d’autres insectes parfaits. À la différence des fibres de plumes de coq, les fibres de CDC se divisent en barbules qui emprisonnent des microbulles d’air et permettent une flottaison améliorée. Si Marc Petitjean, véritable héritier de cette tradition suisse des mouches montées en CDC, à qui l’on doit l’essentiel des informations et des documents de cet article, a mené l’enquête pour dénicher le premier utilisateur de la fameuse plume, ce pionnier reste pour l’heure bel et bien inconnu.

On sait en revanche que, dès les années 1920, les Suisses Maximilien Joset à Courfaivre et Charles Bickel à Vallorbe montèrent des mouches simples en CDC. Ce n’est toutefois pas un hasard si cette région suisse fut si précoce en matière de fabrication de mouches artificielles. Dès le début du 20è siècle, les Anglais venaient spécialement dans les vallées de l’Orbe, de l’Areuse ou dans celles du canton de Fribourg pour pêcher la truite et l’ombre à la mouche. Les premières séries créées par Bickel, très inspirées des mouches anglaises avec leurs, ailes en portions de plumes, ont dans la foulée été agrémentées de la première collection montée avec des plumes de CDC enroulées. Maximilien Joset créa le « moustique du jura », composé d’une collerette en CDC, d’un corps en soie de montage ou en raphia. Mais dans tous les cas, cette mouche était toujours munie de cerques en fibres de hackle de coq. Charles Bickel mis au point la série des mouches de Vallorbe, sensiblement identiques à celle de Joset, mais dépourvues de cerques. Charles Bickel quitta son emploi dans une fabrique de limes à Vallorbe pour se consacrer exclusivement à son projet de fabrique de mouches et de hameçons dans la petite ville du même nom. Ainsi était née la fabrique des Mouches de Vallorbe.

VALLORBE, SES TRUITES, SES OMBRES…

Avec les modèles que les deux compères avaient mis au point, les truites et les ombres difficiles des rivières calcaires du Jura suisse allaient en voir de toutes les couleurs. Car déjà, les teintes vives comme le rouge, l’orange, le jaune, le violet en faisaient des mouches leurres destinées aux ombres. Les couleurs naturelles, parmi lesquelles le blanc sale, le jaune pâle, le rouge foncé ou le brun tentaient d’imiter la couleur des corps d’éphémères avec une justesse entomologique. Il est particulièrement stupéfiant de constater à quel point ces modèles étaient finement montés pour l’époque et de surcroît, sur des hameçons de tailles 16 ou 14, qui aujourd’hui encore, n’ont rien de grossier. On imagine alors très facilement la supériorité de ces modèles qui ne devaient connaître aucune concurrence sérieuse. Marc Petitjean pense d’ailleurs que cette finesse inhabituelle pour l’époque est à l’origine du succès limité qu’ont connu ces mouches, qui s’est cantonné (c’était bien le cas !) au massif montagneux du Jura, soit de Bâle à Vallorbe. L’absence de produit pour sécher les modèles en CDC était alors un frein à leur développement. Dans les années 1950, M. Fontana contribua grandement au développement des Mouches de Vallorbe, qui fournissaient alors toute la Romandie. À Courfaivre, au nord, Maximilien Joset fabriquait de grandes quantités de ces Moustiques du jura en compagnie de Louis Veya qui lui succéda pour le compte de la maison bâloise Jenzer (disparue entre 1985 et 1990). Jules Rindlisbacher, de Bern, a lui aussi reproduit et commercialisé ces mêmes montages. Les Mouches de Vallorbe ont cessé leurs activités dans les années 1960-1970. Dans les années 60 justement, Henri Bresson eut connaissance des mouches helvétiques et créa un modèle, le Cul de canard, qui fit connaître la plume magique en dehors de la Suisse. Puis, le Slovène Marjan Fratnik découvrit, en 1983, une autre façon de monter les plumes de CDC. Il utilisa les plumes entières pour imiter les ailes de sedge. Quelques années plus tard, l’Allemand Gerhard Laible innova en utilisant seulement les fibres de CDC, sans rachis, dans une boucle de dubbing. Cette technique permit aux monteurs d’utiliser toute la longueur des fibres, comme on le fait avec une plume de coq et ouvrit ainsi de nouvelles perspectives. Les techniques de Fratnik et Laible sont aujourd’hui reproduites par des milliers de monteurs professionnels ou amateurs à travers le monde. Transparence, réalisme, solidité, flottabilité, aéro et hydrodynamisme, les plumes de CDC ont tout pour plaire aux poissons… et aux pêcheurs !

POURQUOI LE CDC FAIT MONTER LES POISSONS

Pour un novice, il n’est sans doute pas évident de comprendre pourquoi la plume de CDC fait mieux monter les poissons en surface que la plume de coq. Si les poissons avaient la parole, ils pourraient nous donner une explication qui peut être nous échappe. Mais comme ce n’est

QUEL PRODUIT DE SECHAGE : CHOISIR ?

Les plumes de CDC étant graissées naturellement, il faut être prudent lorsque l’on tente de remettre à flot un modèle gorgé d’eau, Les solutions sèches sont à recommander, afin de préserver les qualités exceptionnelles de la plume. L’amadou, champignon aussi magique que la plume de CDC elle même, permet de remettre à flot une mouche dans 90% des cas. Les huiles en spray sont à proscrire, car ce type de conditionnement implique l’ ajout de solvant, ce qui permet de diluer l’huile pour l’expulser sous pression mais altère les plumes de CDC. Marc Petitjean commercialise de l’huile naturelle de CDC, à mettre sur le corps de la mouche avant son utilisation. Pas encore demain la veille, il faut bien trouver nous même la raison de cette préférence marquée. Constat : plus les poissons voient passer de mouches artificielles, plus ils refusent celles qui flottent bien haut sur l’eau pour leur préférer celles qui collent à la surface ou dont le corps est immergé. Une observation d’ordre purement technique explique ce phénomène. Les mouches en CDC, notamment les émergentes, ne comportent pas de collerette et de ce fait, ne vrillent pas la pointe du bas de ligne, autorisant des diamètres plus fins, donc des dérives plus naturelles. Enfin, les fibres de plumes de CDC sont souples et mobiles à partir d’une certaine longueur, ce qui les rend très naturelles lorsqu’elles dérivent sur l’eau. La série C (pour canard) des mouches Devaux est l’exemple type de ce qu’a apporté le CDC comparé au hackle de coq. Dans les années 1980, la célèbre fabrique de mouches de Champagnole a sorti une version mixte CDC/coq, des collerettes de ces modèles phares comme le Jeck Sedge, la A4, la 929, la 823 et autre 917. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Les modèles agrémentés de la lettre C’étaient,

Comme par miracle, devenus plus efficaces et donnaient du même coup une seconde jeunesse à quelques unes des meilleures mouches que l’on ait jamais créées. Les truites et les ombres du Dessoubre, de la Loue ou du Doubs, en avait fini de bouder les mouches de « Mémé » Devaux. La série C des mouches Devaux continue d’être présente au catalogue des Mouches Devaux et de prendre des poissons difficiles partout dans le monde.

IL Y A CANARD ET CANARD

Parmi les nombreuses races de canards sauvages ou d’élevages, la plupart procurent des plumes de croupion pouvant convenir pour le montage des mouches. La couleur des plumes diffère d’une espèce à l’autre. Le canard domestique dit « de Barbarie » produit des plumes blanches ne convenant pas pour tous les montages. Le canard colvert est le plus utilisé, car ces plumes, grises ou beiges, plus ou moins foncées, permettent de réaliser tous les montages imitatifs des insectes aquatiques. Il est à noter que certaines races domestiques croisées produisent des plumes de CDC mouchetées ou tachetées. Les races Kaki Campbell, Mulard ou Rouen sont également utilisées par quelques monteurs professionnels. Le nombre de plumes de CDC ne dépasse par 10 à 20 maximum par canard, mais on peut plumer l’animal 3 ou 4 fois par an. Les autres couleurs que le gris, le beige, le kaki et le blanc sont teintées.

Cette opération, souvent mal réalisée, altère sensiblement les qualités des plumes de CDC. Les teintures à chaud privent les plumes de leurs graisse naturelle. Pour remédier au problème, certains monteurs regraissent les plumes une fois teintées. Pour Marc Petitjean, ce procédé, n’est pas acceptable, car les plumes ne retrouvent jamais ce qui fait leur renommée. C’est pourquoi il a préféré opter pour une teinture à froid (dont il garde le secret), beaucoup plus respectable des plumes naturelles.

Merci à Marc Petitjean, véritable ambassadeur du CDC à travers le monde (il l’a fait connaître au Japon, en Australie, aux U.S.A, etc.), qui a mis à notre service ses propres investigations ainsi que sa documentation dans ce domaine qu’il connaît si bien.